Ephémère Darjeeling
Théière de la collection Chitra (www.chitracollection.com) |
Chaque année, sortent des grands
jardins de Darjeeling, comme d’autres plantations autour de la planète, des
thés dit « éphémères », des grands crus que l’on ne retrouvera jamais
à l’identique, des thés d’une saison, d’une récolte. Car le soleil ne se posera
jamais exactement de la même façon sur un plant de théier, l’humidité ne sera
jamais exactement la même, la chimie de la terre aura changé… toute tasse de
grand thé est ainsi singulière : c’est la tasse d’un instant, éphémère,
transitoire, comme tous les moments de la vie.
C’est cette idée que résume le
concept japonais de « Ichigo Ichié » (一期一会 soit
« un instant, une rencontre ») qui sous-tend la cérémonie du
thé. Le concept d’一期一会 nous apprend que chaque cérémonie
du thé, chaque réunion autour d’une bonne tasse de thé est unique. Il faut
ainsi la considérer comme telle et accomplir chaque acte dans la pleine
conscience de l’impermanence des choses et des êtres et, par conséquent, de
l’importance du moment présent.
Cueilleuses de thé à Darjeeling |
Pour les amoureux du Darjeeling,
l’arrivée du printemps est la promesse de nouveaux arômes, de nouvelles
compositions. On attend avec impatience les Darjeeling first flush aux délicats
bouquets floraux, printaniers, verts et vifs, à la liqueur verte et dorée,
brillante.
Mais les récoltes ont chuté de 90%
en 2017.
Les jardins sont délaissés voire
incendiés. La production du fameux thé est compromise et pas seulement pour
cette année : un jardin délaissé est un jardin perdu pour longtemps.
Accordons alors un peu plus d’attention
à chaque tasse de Darjeeling que nous tenons entre nos mains.
La terre de « Dorje Ling » c’est-à-dire
« la cité/la terre de la foudre » en Tibétain, est située au nord-est de l’Inde.
Jadis région du raja du Sikkim, aujourd’hui territoire indien de l’état du Bengale
occidental, elle partage des frontières avec le Népal, le Bhoutan et le
Bengladesh.
Darjeeling fut, au cours de son
histoire, l’objet d’assauts répétés des Gorkhas du voisin Népal. Après avoir
été mise sous la tutelle de l’East India
Company et transformée par les Anglais, depuis les années 1840, en jardins
de thés exceptionnels, la région fut finalement rattachée à la nation indienne
en 1947, suite à l’indépendance de cette dernière. En 2017, les tensions héritées de
l’histoire ne sont toujours pas apaisées et Darjeeling tremble sous la tempête
politique qui oppose à nouveau les Gorkhas, qui constituent aujourd’hui la
grande majorité des ouvriers des plantations de thé, au gouvernement du Bengale
occidental. Ils revendiquent une amélioration de leur salaire et de leurs
conditions de vie mais aussi, pour les plus radicaux, la reconnaissance d’un
nouvel état par l’Inde.
Laissons les guerres et les
querelles des hommes.
Faisons bouillir un peu d’eau claire.
Versons-la sur quelques feuilles
de thé.
Récoltons la liqueur.
Et laissons être l’éphémère, en
paix.