Uluru, au coeur du Red Centre
Le nom d’« OulouRRou », avec son R roulé,
coule dans la bouche comme un torrent doux. Et pourtant c’est au cœur du Red Centre – la toponymie
australienne est souvent rude et puissante – dans le désert hostile et
paradoxal du centre du continent qui voit la pluie donner naissance à une riche
végétation, que se trouve Uluru, le « Rock », haut-lieu naturel de l’Australie,
« must see » touristique au
même titre que l’opéra de Sydney.
Géologiquement parlant Uluru est un inselberg soit une « montagne-île »
dont on ne voit que la partie émergée, un bloc de grès monolithique aux
couleurs changeantes, une pierre à l’échelle des géants datant de l’origine du
monde, du « temps du rêve » (dreamtime),
traduction maladroite car impossible d’un concept issu de la spiritualité aborigène.
Le « temps du rêve » renvoie à une « dimension dans
laquelle les Tjuritja, les ancêtres, créatures mythiques, mi-animaux mi-hommes,
ont créé les lois qui régissent les clans : système de parenté, droit familial,
propriété, interdits, etc » (a) & (b).
Les récits de la roche ©levaporettoblogue.blogspot.com |
Fleurs d'Uluru ©levaporettoblogue.blogspot.com |
Paradoxe de notre temps, ce sont les blancs – en quête de fascination exotique, peut-être pour combler leur propre vide spirituel – qui ont, plus d’un siècle après avoir « découvert » le site, ont rendu la montagne « sacrée » et influencé les récits ethnologico-touristiques destinés aux quelques 300 000 visiteurs annuels. Aujourd’hui, l’Ayers Rock rebaptisé Uluru-Ayers Rock est un temple de la consommation postmoderne des cultures traditionnelles et de leurs hermétiques mythologies.
Dîner crépusculaire devant Uluru ©levaporettoblogue.blogspot.com |
Pour certains même, il est un terrain de jeu, le prétexte à un exploit personnel, une ascension sportive pour atteindre le point de vue imprenable sur les vastes plaines du Red Centre… si l’on sait aujourd'hui que gravir Uluru est contraire aux volontés des aborigènes, si les guides et les nombreux panneaux informent les visiteurs que les gardiens ancestraux de cette terre ne souhaitent pas voir les chaussures fouler la surface d’Uluru, des dizaines d’étrangers de passage choisissent sciemment d’éroder un peu plus les sentiers de la montagne, au péril de leur vie, pour un selfie, un « moment zen », un instant évanescent à lancer sur les réseaux sociaux, à des années lumières des esprits des ancêtres tapis dans la roche, qui regardent ébahis les folies de nos contemporains.
(a) Maïa Ponsonnet citée dans l'article de Pierre
Gründmann, « Uluru, le rocher à la réputation usurpée », site du
journal Le Monde, 08.01.2009
(b) Article en anglais sur l'intraduisible notion de « Dreamtime »: https://www.creativespirits.info/aboriginalculture/spirituality/what-is-the-dreamtime-or-the-dreaming#axzz4jgrHA271
(b) Article en anglais sur l'intraduisible notion de « Dreamtime »: https://www.creativespirits.info/aboriginalculture/spirituality/what-is-the-dreamtime-or-the-dreaming#axzz4jgrHA271
Uluru - Chronologie sommaire :
20 000 ans Av. JC. : des peuples Aborigènes sont présents sur les
territoires autour d’Uluru et de Kata-Tjuta depuis au moins 20 000 ans. Ils développent une mythologie complexe au sein de laquelle certains sites témoignent
de la création du monde par les ancêtres mythiques et fondateurs.
1872 : l’explorateur Ernest Giles explore la région
et donne leur nom occidental au Lac Amadeus et au Mont Olga (Kata-Tjuta).
1873 : l’explorateur William Goose aperçoit Uluru
et le rebaptise du nom du Secrétaire en Chef de l’Australie du Sud, Sir Henry
Ayers. Peu de temps après, Ernest Giles gravit Uluru avec son accompagnateur,
un chamelier afghan.
Jusqu'aux années 1950 : la région, très inhospitalière,
reste peu fréquentée par les Européens, elle est cartographiée sous l’appellation de « Petermann
Aboriginal Reserve ».
1950 : Ayers Rock devient parc national.
1958 : Bill Harney, écrivain australien,
connaisseur des cultures aborigènes, est nommé gardien officiel des sites d’Uluru
et de Kata-Tjuta.
1959 : construction du premier motel ainsi que d’une
piste d’atterrissage.
1983-1984 : fermeture des infrastructures
touristiques vétustes.
1985 : la propriété des lieux est rétrocédée aux
peuples aborigènes locaux, lesquels, en échange, octroient un bail de 99 ans à
l’Australian National Parks and WildlifeService.
1993 : le site est renommé Ayers Rock-Uluru par les
autorités australiennes. Cette double-appellation est la première d’une longue
liste qui verra, dès lors, un nombre important de sites aborigènes réintégrer
leur appellation d’origine en association avec l’appellation anglophone.
2002 : suite à une requête de la Regional Tourism Association d’Alice
Springs, le site est à nouveau renommé et rebaptisé Uluru-Ayers Rock.
Entre 2004 et 2014, le site a accueilli entre 250000 et
350000 visiteurs annuels (http://eoi.uluru.gov.au/node/121/attachment).