Uluru, au coeur du Red Centre


Le nom d’« OulouRRou », avec son R roulé, coule dans la bouche comme un torrent doux. Et pourtant c’est au cœur du Red Centre – la toponymie australienne est souvent rude et puissante – dans le désert hostile et paradoxal du centre du continent qui voit la pluie donner naissance à une riche végétation, que se trouve Uluru, le « Rock », haut-lieu naturel de l’Australie, « must see » touristique au même titre que l’opéra de Sydney. 
 
Le vaporetto blogue, Uluru, Australie
Arbres du désert australien
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Géologiquement parlant Uluru est un inselberg soit une « montagne-île » dont on ne voit que la partie émergée, un bloc de grès monolithique aux couleurs changeantes, une pierre à l’échelle des géants datant de l’origine du monde, du « temps du rêve » (dreamtime), traduction maladroite car impossible d’un concept issu de la spiritualité aborigène. Le « temps du rêve » renvoie à une « dimension dans laquelle les Tjuritja, les ancêtres, créatures mythiques, mi-animaux mi-hommes, ont créé les lois qui régissent les clans : système de parenté, droit familial, propriété, interdits, etc » (a) & (b). 

   Les récits de la roche  
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Pour les populations aborigènes locales, les Pitjantjatjara, les Yankunitjatjara et les Luritja, certaines parties du rocher sont des récits sacrés que seuls les initiés savent décoder : une rigole témoigne des larmes d’un dieu, un fossé de son pas, une fissure de sa chute… mais s’il fait partie d’un territoire qui englobe les monts de Kata-Tjuta et qui comporte une multitude de sites géologiques chargés des forces spirituelles des ancêtres, Uluru n’est pas une « montagne sacrée » comme on pourrait vite le croire. 
 
Le vaporetto blogue, Uluru, Australie
Fleurs d'Uluru  
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Paradoxe de notre temps, ce sont les blancs – en quête de fascination exotique, peut-être pour combler leur propre vide spirituel – qui ont, plus d’un siècle après avoir « découvert » le site, ont rendu la montagne « sacrée » et influencé les récits ethnologico-touristiques destinés aux quelques 300 000 visiteurs annuels. Aujourd’hui, l’Ayers Rock rebaptisé Uluru-Ayers Rock est un temple de la consommation postmoderne des cultures traditionnelles et de leurs hermétiques mythologies. 
 
Le vaporetto blogue, Uluru, Australie
Dîner crépusculaire devant Uluru
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Pour certains même, il est un terrain de jeu, le prétexte à un exploit personnel, une ascension sportive pour atteindre le point de vue imprenable sur les vastes plaines du Red Centre… si l’on sait aujourd'hui que gravir Uluru est contraire aux volontés des aborigènes, si les guides et les nombreux panneaux informent les visiteurs que les gardiens ancestraux de cette terre ne souhaitent pas voir les chaussures fouler la surface d’Uluru, des dizaines d’étrangers de passage choisissent sciemment d’éroder un peu plus les sentiers de la montagne, au péril de leur vie, pour un selfie, un « moment zen », un instant évanescent à lancer sur les réseaux sociaux, à des années lumières des esprits des ancêtres tapis dans la roche, qui regardent ébahis les folies de nos contemporains.
 
Le vaporetto blogue, Uluru, Australie
Uluru avant la nuit
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(a) Maïa Ponsonnet citée dans l'article de Pierre Gründmann, « Uluru, le rocher à la réputation usurpée », site du journal Le Monde, 08.01.2009
(b) Article en anglais sur l'intraduisible notion de « Dreamtime »: https://www.creativespirits.info/aboriginalculture/spirituality/what-is-the-dreamtime-or-the-dreaming#axzz4jgrHA271

Uluru - Chronologie sommaire  :
20 000 ans Av. JC. :  des peuples Aborigènes sont présents sur les territoires autour d’Uluru et de Kata-Tjuta depuis au moins 20 000 ans. Ils développent une mythologie complexe au sein de laquelle certains sites témoignent de la création du monde par les ancêtres mythiques et fondateurs.

1872 : l’explorateur Ernest Giles explore la région et donne leur nom occidental au Lac Amadeus et au Mont Olga (Kata-Tjuta).

1873 : l’explorateur William Goose aperçoit Uluru et le rebaptise du nom du Secrétaire en Chef de l’Australie du Sud, Sir Henry Ayers. Peu de temps après, Ernest Giles gravit Uluru avec son accompagnateur, un chamelier afghan.

Jusqu'aux années 1950 :  la région, très inhospitalière, reste peu fréquentée par les Européens, elle est  cartographiée sous l’appellation de « Petermann Aboriginal Reserve ».

1950 : Ayers Rock devient parc national.

1958 : Bill Harney, écrivain australien, connaisseur des cultures aborigènes, est nommé gardien officiel des sites d’Uluru et de Kata-Tjuta.

1959 : construction du premier motel ainsi que d’une piste d’atterrissage.

1983-1984 : fermeture des infrastructures touristiques vétustes.

1985 : la propriété des lieux est rétrocédée aux peuples aborigènes locaux, lesquels, en échange, octroient un bail de 99 ans à l’Australian National Parks and WildlifeService.

1993 : le site est renommé Ayers Rock-Uluru par les autorités australiennes. Cette double-appellation est la première d’une longue liste qui verra, dès lors, un nombre important de sites aborigènes réintégrer leur appellation d’origine en association avec l’appellation anglophone.

2002 : suite à une requête de la Regional Tourism Association d’Alice Springs, le site est à nouveau renommé et rebaptisé Uluru-Ayers Rock.

Entre 2004 et 2014, le site a accueilli entre 250000 et 350000 visiteurs annuels (http://eoi.uluru.gov.au/node/121/attachment).